Spélunca Numéro 66

Spelunca n°66


DOCUMENT TELECHARGEABLE ICI

L'aven de Noël
(Bidon, Ardèche)

Philippe BARTH, Brigitte DUMARCHE, Jean-Michel HERRERO, Julien TESSIER et l'A.R.S.P.A.N.

L'aven de Noël pourrait être répertorié parmi les grandes classiques du plateau de St Remèze.

Mais la particularité de cet aven est bien de n'avoir rien de classique. Superbement concrétionné, il a fait l'objet dès l'année de sa découverte de mesures de protection très innovantes en la matière : des mesures qui, sans être répressives, permettent de sensibiliser et responsabiliser les visiteurs au caractère exceptionnel de cette cavité.

Une expérience positive qui permet de constater qu'après 7 ans de pratique, l'aven de Noël conserve en grande partie son aspect initial.

Situation géographique :

    Département : Ardèche (07)

    Commune : Bidon - Secteur "La Coutelle"

    Propriétaire : Commune de St Marcel d'Ardèche

    Carte IGN 1/25000 : 2939 Est

    Coordonnées : X = 774,7 - Y = 228,125 - Z = 278

Modalités d'accès :

Afin d'assurer la protection de l'aven de Noël, une porte a été placée, mais elle s'ouvre à tout spéléologue qui en effectue la demande auprès de :

A.R.S.P.A.N., Mairie - 07700 Bidon - tél. 04.75.xx.xx.xx

Il vous sera remis une fiche d'équipement, une topo de la cavité ainsi qu'une fiche de visite.

Cette prise de contact permet également d'étaler les visites dans le temps.

N'hésitez pas à réserver à l'avance.

L'activité spéléologique reste libre. Il suffit de signaler les découvertes qui seront protégées et balisées avant d'être portées sur la topographie.

Contexte géologique

L'aven de Noël est entièrement creusé dans les calcaires urgoniens qui constituent l'essentiel des gras de Saint-Remèze.

Le terme d'Urgonien n'a pas de valeur stratigraphique car il est d'âge variable selon les régions.En Ardèche, il s'étend du Barrémien inférieur (-114 millions d'années) jusqu'à l'Aptien inférieur (-112 m. d'années).

Ces calcaires, dont l'épaisseur totale est d'environ 300m, sont de nature variée: calcaires coquilliers, crayeux,à rudistes...

Certains niveaux franchement argileux, donc plus sensibles au gel, sont à l'origine des "vires" observées dans les Gorges de l'Ardèche.

Parmi les nombreuses failles et diaclases qui hachent le plateau, on distingue deux familles dominantes : N 50-60 à l'Ouest et N 140-150 à l'Est.

Ces failles largement héritées de l'histoire géologique ancienne (hercynienne) ont eu successivement un jeu inverse et normal lors des épisodes pyrénéen et alpin.

Historique

25 Décembre 1989

Lors d'une séance de prospection, Jean-Michel Herrero, Brigitte Dumarché et Julien Tessier découvrent un trou souffleur de la taille d'une noisette. L'élargissement de l'entrée donne accès à un éboulis à -3 mètres.

Le fort courant d'air incite à la désobstruction.

3 Février 1990

Après 40 heures de travail, le puits d'entrée est ouvert. Un ressaut de 7 mètres (obstrué aussi) débouche au plafond d'une diaclase aux dimensions impressionnantes contrastant avec l'étroitesse du premier puits.

La cote -120 mètres est atteinte.

10 Février 1990

Début de l'exploration des 3 km de galeries spacieuses, superbement concrétionnées...

... et vierges !

Prémices à la protection : des indications ça et là conseillant le déchaussement, la prudence vis à vis des fleurs et aiguilles de gypse.

7 Mai 1990

M.Sabatier, maire de la commune de St Marcel d'Ardèche propriétaire du terrain, autorise les inventeurs à gérer les entrées de la cavité et poser un système de fermeture en cas de dégradation.

Il met cependant en garde les inventeurs.

23 Mai 1990

Première réflexion sur la protection de l'aven de Noël entre les maires des communes de Bidon et St Marcel d'Ardèche, les inventeurs, le CDS 07, les clubs de St Marcel, GES Avignon, St Montan.

Des idées sont avancées : porte, balisage mais le libre accès semble nécessaire et la compatibilité de ces trois données difficile.

17 Juin 1990

Sur-fréquentation de la cavité et présence de détritus variés amènent Jean-Michel à prendre la responsabilité de placer une porte avec l'aide du club des "Dolichos". Une pancarte indique les possibilités de visite, mais la porte est difficilement acceptée par le monde spéléo !!

15 Août 1990

Début du balisage sous la conduite de Jean-Claude FLAHAUT.

Grâce à une subvention du "Vieux Campeur" (1er prix concours : Assez salopé, on va nettoyer!!) et à la participation des clubs spéléos : Tignahustes, Aérospatiale Toulouse, Montignac, Forez et Bidon, un panneau est installé à la base des puits d'entrée afin de sensibiliser les spéléos sur la démarche de protection entreprise dans l'aven, des équipements en fixe sont placés dans les galeries et le balisage terminé courant 1991.

Le balisage indique le chemin mais permet aussi de découvrir certaines formations.

Décembre 90 - Janvier 91

Deux topographies du réseau sont effectuées : l'une par le club de St Etienne (Forez), l'autre par l'équipe des Tignahustes et le Spéléo Club Aérospatiale de Toulouse.

30 Mars 1991

Mise en place d'un compte rendu d'exploration laissant une large place aux visiteurs pour noter leurs remarques et suggestions sur la protection.

27 Février 1993

Création de l'ARSPAN :

Association de Recherches Spéléologiques et de Protection de l'Aven de Noël.

31 Juillet 1993

Convention entre le propriétaire et l'ARSPAN autorisant l'ARSPAN à gérer la protection de l'aven de Noël.

31 Octobre 1995

Convention entre la F.F.S. et l'ARSPAN, cette dernière devenant "partenaire privilégié".

Description

Un puits de 31m étroit, une petite main courante et un ressaut de quelques mètres donnent accès à un grand puits de 90m, une immense diaclase orientée Nord sur laquelle bute la galerie principale.

    la galerie principale

D'un développement approximatif de 650 m, le diamètre moyen est supérieur à 10 m et certains plafonds sont à plus de 30m de hauteur. Au début, la galerie est encombrée de massifs argileux comportant des sapins d'argile, puis après un petit passage bas sous un pont rocheux, de petits gours secs occupent le sol jusqu'à un énorme pilier stalagmitique derrière lequel se trouve, à droite, l'embranchement de la galerie blanche.

Le parcours dans la galerie principale devient plus accidenté au milieu de blocs et de grosses stalagmites.

Après quelques dizaines de mètres, une escalade de 4m donne accès à la zone des grands gours qui se franchit en longeant la paroi de droite.

La galerie de la grande coulée démarre sur la gauche au sommet d'une coulée de calcite haute d'une quinzaine de mètres.

En longeant à droite la coulée par le bas on poursuit dans la galerie principale qui est toujours occupée par des gours secs. Une petite cascatelle coulant du plafond est une des seules arrivées d'eau pérennes du réseau. La galerie de belles dimensions se termine brusquement et se poursuit par un méandre (1,5m x 2m) tapissé de minuscules choux-fleurs très blancs et qui contient un véritable cimetière de chauves-souris.

Le méandre se termine par un puits argileux d'accès dangereux.

Avant le méandre, sur la droite, une escalade de 7m permet d'accéder à la galerie supérieure.

    la galerie supérieure

Au sommet de l'escalade, on repart vers la sortie puis après un passage au-dessus de la galerie principale sur un pont rocheux, on prend une grande galerie de 200m (12m x 12m) ornée de concrétions diverses (excentriques, fistuleuses, cierges et gours secs). Le plafond s'abaisse progressivement puis se relève et c'est le plancher qui remonte jusqu'à une coulée de calcite qui obstrue le passage.

    la galerie blanche

De dimensions un peu plus modestes que la galerie principale (8m x 5m) la galerie blanche est ornée de nombreuses concrétions très délicates : choux-fleurs blancs, cristallisations oranges, aiguilles et fleurs de gypse. Le sol est encombré de cailloutis en plaquettes et le plafond montre de très belles cloches.

Le fond de la galerie est peu concrétionné et se termine après 300 m sur un dôme stalagmitique.

    la galerie de la grande coulée

Au sommet de la grande coulée, un passage étroit (0,5m) donne sur une petite salle très concrétionnée.

Puis par un plan incliné descendant, on arrive dans une galerie (8m x 8m) au sol tapissé de gours secs cristallisés qui se termine après 150m sur une coulée de calcite.

    la galerie des Sarrianais

Le passage vers les galeries inférieures se trouve à 20m de la base du puits, sur la gauche.

Une escalade de 2m suivie d'un plan incliné descendant débouche au carrefour de deux petites galeries (1,5m x 2m). Celle de gauche s'arrête rapidement sur un rideau de petites colonnes ; celle de droite est tapissée de petits choux-fleurs et débouche sur une galerie plus grande ornée de stalactites.

Un ressaut de 2m, en face d'une superbe coulée, mène, sur la gauche, à une galerie encombrée de gros blocs qui débouche sur une vaste coulée de calcite. Au bas de celle-ci, sur la droite, on peut observer un important remplissage de graviers, galets (quartz et micaschistes), sables et argile.

Dans la coulée, un puits d'une vingtaine de mètre suivi d'un ressaut de 4m donne accès, par un passage bas, à une salle recoupée transversalement par une grande diaclase. Au fond de la salle, on poursuit par une galerie basse (2m x 1,5m) légèrement remontante.

Après quelques mètres le sol se couvre de calcite blanche et la progression se poursuit à travers des concrétions blanches jusqu'à un massif stalagmitique obstruant le passage.

Nota : Comme dans de nombreux avens du plateau, la présence de CO2 est fréquente.

Spéléogénèse

De par sa nature, son altitude et sa proximité immédiate des réseaux de Saint-Marcel, l'aven de Noël est à rapprocher de ces derniers. L'ensemble apparaît comme une série de collecteurs fossiles des eaux du plateau.

Vu leur position perchée à 100m au-dessus de l'Ardèche et d'après les hypothèses les plus couramment admises en ce qui concerne le creusement du canyon de l'Ardèche, on peut dater la formation des galeries principale et blanche du Miocène supérieur soit vers -6 million d'années.

A cette époque le réseau était à une altitude proche de celle de l'Ardèche et entièrement noyé comme le sont actuellement les points les plus bas du réseau Saint-Marcel.

A l'instar de l'actuel karst noyé des Gorges de l'Ardèche, le réseau a pu, temporairement, servir de perte à la rivière comme le confirme la présence des galets cristallins dans les galeries inférieures.

En aucun cas ces pertes peuvent être responsables du creusement.

Après l'enfoncement du niveau de base constitué par l'Ardèche, le réseau s'est trouvé relégué au rang de galeries fossiles. La percolation des eaux à travers les 100m de calcaire qui surmontent s'est chargée de les orner de splendides concrétions.

Stalagmites, stalactites, coulées, gours, draperies et méduses sont au rendez-vous se parant de couleurs allant du blanc laiteux au rouge vif. Si la plupart sont de taille modeste, il existe aussi quelques "monstres" comme la grande coulée ou les immenses gours situés à sa base. Ces gours indiquent d'ailleurs un écoulement à la fois vers l'aval et vers l'amont de la galerie. L'eau arrivant du plafond par la grande coulée se divisait vers les deux directions pour se perdre ensuite vers d'hypothétiques niveaux profonds.

Comme le montre la description, cet important concrétionnement a des conséquences fâcheuses car toutes les galeries sont obstruées par des coulées.

De remarquables excentriques groupés en buisson, des fleurs et filaments de gypse viennent compléter cet inventaire minéral.

La cavité est remarquable aussi par ses squelettes de chauves-souris fossilisés dans la calcite.

Isolés ou regroupés en plusieurs dizaines d'individus (méandre terminal), certains sont extrêmement bien conservés. L'âge de ces chauves-souris et le chemin qu'elles ont pris pour venir de si loin dans la galerie reste un mystère.

Protection

"Découvrir, oui mais..."
(impression des inventeurs)

Quel spéléologue n'a jamais été habité par l'idée obsessionnelle de "faire une première" ?

Un désir qui le conduit à prospecter, désobstruer, découvrir des trous insignifiants qui ne mériteraient même pas la peine d'être baptisés !

Nous avons fait cela pendant des années pour aboutir un 25 Décembre au pied d'un trou souffleur.

Nouvelle "désob". P1 = 30 mètres; banal! P2, arrêt par manque de corde; tiens, ça c'est nouveau !

Et puis, l'exploration de près de 3 km de galeries à vous couper le souffle, des parois scintillantes à vous aveugler, l'émerveillement devant les aiguilles et fleurs de gypse, les chauves-souris calcifiées...

Quels mots sont assez puissants pour décrire les richesses de notre découverte ?

Conscients de la particularité de cette cavité et surtout des destructions subies dans de nombreux avens de la région et d'ailleurs, un instant l'idée de tout reboucher nous a effleurée l'esprit.

Difficile d'anéantir de cette façon radicale notre passion, mais que faire ?

Dans un premier temps, la présence d'une porte s'imposait. Vint alors le temps des problèmes : le mécontentement parfois virulent de certains spéléos, le départ des copains,............, les doutes.

Puis sont arrivés de nouveaux amis, nous encourageant par leurs conseils, leur aide : Jean-Claude Flahaut, aujourd'hui disparu, a pris en main la gestion du balisage, André Vermorel, maire de Bidon, a effectué une demande de subvention auprès du Vieux Campeur permettant de financer l'opération de protection, M. Sabatier, maire de St Marcel d'Ardèche, nous a accordé sa confiance et tout les autres dont la liste serait trop longue à énumérer. Et puis, aboutissement de cette formidable chaîne de solidarité : la création de l'association ARSPAN.

Nous ne sommes plus seuls, même si jour après jour nous assurons les coups de téléphone, l'accueil des spéléos, les visites à la maison, l'ouverture et la fermeture de la porte. Fastidieux parfois, mais ô combien passionnant et enrichissant.

Amis spéléos, ne nous dites pas merci, mais continuez de respecter cette fabuleuse cavité afin que des générations de spéléos puissent profiter de sa richesse souterraine et qu'aussi cette expérience fasse tâche d'huile : ce sera notre plus belle récompense !

Et n'oubliez pas que la pire des contraintes serait de voir tout cela détruit...

"Protéger, oui mais..."

Lorsque c'est posé la question de la protection de l'aven de Noël, nous avons longuement réfléchi.

Après plusieurs réunions et concertations, nous avons retenu les principes de base suivants :

    La cavité doit être accessible à tous, en préservant le milieu naturel.

    Une porte est posée mais elle s'ouvre à tous.
    Elle élimine les risques de chute et limite les effets des courants d'air.

    Le rendez-vous est l'occasion de contacts qui permettent de sensibiliser les visiteurs sur les endroits exposés et sensibles, de présenter la topo et l'avancement des explos, et de recommander des éclairage suffisants.

    Téléphoner permet aussi de limiter le nombre de personnes par jour.
    Il est plus sympathique de se retrouver peu nombreux plutôt que de faire la queue pour descendre ou remonter.

    Une petite fiche à remplir après l'exploration permet d'impliquer les spéléos à notre souci de protection :

                pas de pollution : remontée du carbure, des ordures, des mégots,...

                signaler toutes anomalies : traces, ruban cassé, détériorations...

                donner toute remarques susceptibles d'améliorer la protection.

Toutes les parties sensibles sont balisées et protégées.

Elle sont portées sur la topographie. Le coté spéléologie reste libre. Il suffit de signaler les découvertes pour qu'elles soient balisées et protégées, si nécessaire, avant d'être reportées sur la topo.

Impliquer dans notre souci les responsables locaux et nationaux : propriétaire, municipalité, CDS, réserve des gorges de l'Ardèche, FFS...

Pour mettre en place ces principes et veiller à leur respect, il nous est apparu indispensable de regrouper des gens au sein d'une association. C'est ainsi que l'ARSPAN est née.

Pour être membre actif, il faut participer à l'action de protection : à ce jour, il y a environ 50 membres.

Pas de cotisation : les revenus proviennent de membres sympathisants et les aménagements ont été réalisés à l'aide de subventions ou de dons.

Pourquoi cette association ?

    pour être reconnu des autorités.

    pour partager les tâches relatives à la protection.

    pour se donner les moyens de réussir : financièrement, juridiquement (l'union fait la force...)

    pour continuer les recherches dans et autour de la cavité.

    pour améliorer le balisage et l'accès à l'aven.

    pour exploiter les informations données par les visiteurs.

    pour rédiger et envoyer une lettre annuelle d'information.

Conclusion

L'expérience est positive, après quatre ans de pratique, 95 % des visiteurs sont satisfaits.

Il advient à chacun de nous que des expériences de protection de se genre se multiplient, se répandent et deviennent finalement banales...

Là, nous pourrons dire que nous aurons réussi.

Bibliographie

            Spélunca N° 38 (1990)

            Spéléo N° 1 (1990)

            Plaquette ARSPAN

            Journal de l'Aven de Noël n° 1 (Novembre 1991)